Loïc Mathaud

Carnet Web

Entrepreneur et développeur Web également impliqué dans la vie associative locale.

Du basketball depuis matru. Il m'arrive d'écrire. Écoute du punk à roulettes.

Nouvelle - Tatouage magique

Publiée le 13/01/2025

De temps en temps avec A. nous nous amusons à écrire. On se donne un sujet (on a différentes techniques), on lance un chronomètre (10 minutes en général et jamais plus de 15) et il faut alors écrire une petite histoire sans prétention. À la fin on se lit mutuellement ce qu'on vient d'écrire. C'est assez plaisant et ça stimule l'imagination des petits comme des grands :)

Récement en relisant une de ces courtes nouvelles je me suis pris l'envie de la reprendre pour en faire un texte un peu plus long, plus construit et relu. Sans en faire quelque chose de trop long qui ne correspondrait pas à l'idée de départ.

Sur cet exercice mon sujet était "Tatouage magique" et le résultat est le texte qui suit.

Nous marchons depuis le milieu de la mâtinée sur un chemin caillouteux qui serpente parmi les champs. Il fait froid, le ciel est gris, et malgré ma grosse veste j’ai l’impression de sentir le vent glacial qui me traverse le corps. Mon interprète est devant moi et nous suivons le guide. Pendant que nous progressons lentement je repense au hasard de cette rencontre il y a deux jours. J’étais venu visiter ce pays avec pour unique objectif que de rencontrer sa population –le plus souvent pauvre– et sa culture. Il aura suffit d’une soirée dans une sorte de bar délabré où les hommes du quartier se retrouvent pour boire et discuter. Enfin surtout pour boire et pour oublier un peu leur quotidien. De ce soir-là je me rappelle surtout le mal de crâne plus que les échanges que j’ai pu avoir. Et maintenant me voilà à suivre cet homme qui marche devant moi sans un mot et qui ne se retourne que rarement. Uniquement pour vérifier que je suis toujours là. La situation est étrange et je me rappelle vaguement qu’il doit me conduire à un personnage atypique. Un vieil ermite à mi-chemin entre le moine, l’artiste et le fou. D’après mon guide je peux être la personne idéale qu’il recherche afin de compléter son œuvre. Ma curiosité –et le fait que j’avais trop bu– m’avait alors fait dire oui à le rencontrer.

— Encore une heure de marche environ, me dit mon interprète.

Je laisse mes pensées suivre leur cours sans trop anticiper ce qui va se passer et je continue à marcher.

Après environ six heures d’efforts, nous arrivons enfin. Dans la petite maisonnette qu’il doit occuper depuis presque toujours, l’encens brûle déjà et les effluves boisées me viennent aux narines alors que nous nous apprêtons à entrer. La pièce ne doit pas faire plus de dix mètres carré et dans le fond une porte me fait dire qu’une autre pièce complète l’habitation. Le sol est recouvert d’une grande paillasse. Les murs sont peints de rouge et de vert passés et n’ont pas été rafraîchis depuis peut-être trente ans. À ma gauche je vois une photo en noir et blanc dans un cadre posé sur un petit meuble en bois. Il s’agit d’une photo d’un jeune couple souriant et prenant la pose devant cette même maisonnette que je reconnais immédiatement car elle semble s’être figée dans le temps. Ils sont beaux et semblent heureux et je me dis qu’il doit s’agir de mon hôte et de son épouse.

Nous sommes entrés tous les trois et mon interprète s’est positionné dans un coin, voulant se faire le plus discret possible. Il aurait pu se fondre dans le mur qu’il l’aurait fait. Je sens le stress qui commence à m’envahir. Le vieil homme est devant moi, empli de calme. Je suis tout de suite attiré par ses yeux d’un bleu-gris clair. Ils sont remplis de douceur et m’aident à inspirer puis expirer profondément. Il me sourit. Notre guide se tourne vers moi, la main sur mon épaule et me dit quelque chose que je ne comprends pas. Le visage grave, il s’en va. Sans d’autres bruits que celui de ma respiration et du vent que l’on entend au dehors, il s’adresse à moi :

— Il vous souhaite la bienvenue. Il vous a observé attentivement. Votre attitude et votre regard lui confirme que vous êtes la bonne personne, m’explique l’interprète.

Je reste silencieux car je ne sais pas quoi répondre. D’autant plus qu’entrent alors deux hommes plus grands et costauds que moi. Ils se positionnent dans le coin opposé de l’interprète.

— Ils sont là pour vous aider. C’est souvent nécessaire

Ils s’approchent de moi et me font m’asseoir en tailleur, puis m’enlèvent ma veste, mon pull en laine acheté juste avant mon départ en voyage et mon t-shirt. Je me retrouve finalement en caleçon au milieu de la pièce, assis face au vieil homme pendant que ses amis se sont de nouveau mis en retrait. Tandis que je me faisais déshabiller il a préparé une boisson avec des plantes. Une sorte de thé local, me dis-je. Il me tend la tasse chaude que je lui prends machinalement des mains.

— Il vous demande de boire

Je ne sais pas ce qu’elle contient. Dans ma tête les pensées se bousculent. Qu’est-ce que je fais ici ? Pourquoi ai-je accepté ? Et si…

Il pose sa main sur mon épaule, cela me fait sortir de mes pensées. Nos regards se croisent et le mien se retrouve alors plongé dans le sien qui m’envahi de douceur. Je regarde le contenu de la tasse, prends une profonde inspiration puis la porte à mes lèvres pour tout boire d’un coup. Une vague de chaleur descend tout le long de mon corps et me réchauffe. Le deuxième effet est que ça m’aide à me détendre. C’est une sensation vraiment agréable qui se voit complétée par la chaleur que dégage la tasse au creux de mes mains.

Petit à petit mes pensées ralentissent tout comme ma respiration et même si je me demande encore comment j’en suis arrivé là, je sais que j’ai maintenant passé le stade de l’acceptation. Je ne veux plus, je ne peux plus revenir en arrière. J’ai peur mais je me sens prêt.

C’est certainement la conséquence de la boisson qu’il m’a préparé mais je réalise dans le silence de la pièce que je ne sens plus le froid malgré les bourrasques à l’extérieur et le fait que je sois presque nu assis sur le sol. Le vieil homme me tourne le dos, ce qui ne m’empêche pas d’apercevoir qu’il a débuté une nouvelle préparation. Il verse différentes poudres dans un bol en pierre gris-noir auxquelles il ajoute un peu d’eau. Puis il se retourne, ce qui me permet de le voir en train de mélanger la mixture.

Dans la pièce tout le monde est silencieux, on n’entend que le son du pilon qui frotte contre le bol. Ses gestes sont accompagnés d’un chant qui me permet d’entendre plus clairement sa voix. On dirait des incantations religieuses, ou en tout cas mystiques, dont je ne comprends pas la signification et il les entonne avec ferveur. Je me souviens que mon guide m’avait expliqué que ça surviendrait et que la majeure partie de la réussite du projet dépendrait de cette cérémonie car c’est lors de cet instant hors du temps qu’il invoque les esprits et qu’il fait office de sa magie.

Je me sens progressivement dans un état second comme si j’étais à la fois dans le moment et à la fois en dehors. Une fois que tout ceci sera terminé -et je sais qu’il me reste le plus difficile à vivre- rien ne sera plus comme avant. Je serais changé à tout jamais. Il semble maintenant en avoir terminé et il dépose délicatement le bol sur un petit tabouret en bois à trois pieds. S’y trouve également un tige taillée en pointe dont je trouve que ça ressemble à du bambou. J’observe le moindre de ses mouvements : ils sont lents mais précis et pleins de douceur. Mon regard croise de nouveau le sien et y plonge sans aucune retenue. La douceur qu’il me renvoie est incroyable et je suis touché par une vague de bienveillance qui entre par mes yeux et se diffuse dans le reste de mon corps. Je ressens également son empathie en rapport avec ce qui va suivre. Un peu comme si il s’en excusait d’avance.

— Êtes-vous prêts ? me demande l’interprète.

Je réponds oui d’un hochement de la tête.

Alors le vieil homme me tend ses mains afin que je lui rende sa tasse et il la dépose par terre, derrière lui. Assis face à moi, ses mains prennent les miennes et il se met à scander de nouvelles incantations, son regard toujours plongé en moi. Je suis déjà un peu ailleurs, comme dans du brouillard et j’entends une voix qui me semble maintenant plus loin :

— Vous êtes prêts. Il veut maintenant que vous vous allongiez. Sur le ventre

Presque inconsciemment je sens mon corps qui change de position et je m’allonge sur la paillasse, mon front repose sur un petit coussin.

Puis c’est le premier pic de douleur. Aiguë. Suivi par le deuxième. C’est parti. Mon corps se met à trembler mais il est très vite maintenu par les deux amis dont la présence trouve alors son explication. Je crois que je crie mais je ne m’entends pas et progressivement la douleur semble comme avoir envahi mon corps.

Le vieil homme n’est pas impacté par mes réactions et il continue à pratiquer son art ancestral en me piquant point après point dans le dos. Je ne sais pas ce qu’il tatoue. C’est lui le Maître, celui qui décide de tout. Les seules choses dont je suis conscient sont que la douleur va durer longtemps et que ses amis me maintiendront jusqu’au bout quoi qu’il arrive. J’accepte alors et laisse partir mon esprit qui s’envole au dessus de mon corps.

Tel un observateur de la scène je réalise que ce que j’avais initialement jugé comme du folklore et un banal acte artistique saupoudré de mysticisme est bien plus que ça. Qu’on ne m’avait pas menti.

Quelque chose change en moi tandis que j’assiste à la vue de mon corps plaqué au sol. Je suis effectivement en train de compléter la Communauté des Sept en tant que dernier membre à la rejoindre et ce tatouage que le vieux Maître est en train de me faire va m'apporter des pouvoirs surhumains. Quand tout sera terminé et que j'aurais repris mes esprits, nous pourrons alors nous réunir pour sauver le monde.